Impulsion de vie.
Deuxième naissance.
Première chose qui apparaît.
Une sorte de propulsion que je peux assimiler au Big Bang.
La formation de mon univers.
J’ai perçu l’impulsion de vie à l’âge de 4 ans et demi, 5 ans.
Malade jusqu’à cet âge, sans savoir ce que j’avais précisément, j’étais un peu comme un objet inerte propulsé dans un espace endormi.
Il y avait un peu comme de la non-vie.
Je flottais, comme maintenu en vie.
A partir de ces 5 ans, quelque chose se réveille à l’intérieur, et vient éveiller mes sens.
Tout dépend de moi.
Je découvre le monde !
Je décide de vivre.
Une impulsion de vie consciente.
Une impulsion de vie donnée de l’intérieur.
Je sens que je peux interagir avec le monde.
Je décide.
La première phase de création consciente me paraît être à ce moment là.
Point visible.
De ce point d’impulsion de vie, je peux plonger à l’intérieur pour aller vers l’extérieur.
Mon origine. Mes origines.
A la fois invisible, noir et infini, un peu comme un trou noir.

La confusion des Origines.

Dans ma façon de faire, l’impulsion de vie, c’est faire, faire, faire…
Il n’y a pas forcément de réflexion préalable, mais plutôt laisser jaillir de la spontanéité d’être.
Dans cette spontanéité d’être, jaillissent différentes formes ou groupes de formes, reliés à des parties de moi et en résonance avec certaines parties qui m’entourent.

 

Créer, c’est ne pas savoir.
J’ai la sensation de chercher je ne sais quoi.
Je m’en rapproche, tente de le préciser, de le définir sans but à atteindre.

A l’origine de mon travail de sculpteur, il y a la fascination pour le vivant sous toutes ses formes et en symbiose dans son espace naturel. Je choisis la forme sculpturale pour comprendre et matérialiser ma perception et mon ressenti du monde vivant qui m’entoure.
J’ai expérimenté différents matériaux, par nécessité, comme pour trouver des mots à travers chacune des matières, exprimant ce que je ne pouvais pas satisfaire par le langage habituel. L’expérience et l’écoute de chacune de ces matières révèlent en moi autant de facettes me permettant de redéfinir le monde.
La structure (le contenant) porteuse de vie (le contenu) est mon premier axe de travail. De là, émergent des formes stables et solides pour mieux appréhender ce que je ne peux saisir : le mouvement, la vie.
La verticalité, en tant que pesanteur, en opposition à notre horizon, mais également en tant qu’alignement, où tout est juste et en équilibre, me permet de contacter cette force vitale au centre.

Je m’identifie, nous identifie à des flotteurs.
Ce flotteur est notre corps – petit, grand, gros, maigre – en flottaison entre ciel et terre.
Notre verticalité dépend de notre ancrage.
Je m’intéresse, là, à ce qui nous porte, à cette ligne de flottaison.
Lien entre tous corps en suspension,
Horizon sensible à la moindre vibration,
Interférence de l’air, de l’eau, et de ce qu’elle porte.
C’est dans la justesse de cet équilibre que nous pouvons être sensible à ce qui se passe dans les parties invisibles.
Percevoir sans voir.
Cette perception est notre communication, car c’est elle qui crée à la surface, témoin par ces oscillations autour de notre corps.
C’est ce que l’on transmet. C’est ce que l’on reçoit.

UNITÉ CELLULE SYMÉTRIE

Je veux comprendre ce qu’est « être vivant ».
J’en fais l’expérience.
Je ne peux comprendre qu’à partir de ce que je suis.
Tout ce que je peux créer, c’est parce que je le contiens, dans mon corps, dans mon esprit et dans mes origines les plus lointaines.
Je m’intéresse à la cellule.
Elle est le plus petit organisme vivant.

Je travaille sur des translucides avec des encres.
Ce travail s’apparente à l’observation au microscope entre deux plaques de verre.
L’empreinte de l’encre sur mes translucides fait apparaître ce que je peux comparer à des cellules.
La cellule est observable parce qu’elle est contenue, entourée d’une paroi, limitée par une membrane.

Ce qui m’intéresse également dans la cellule, c’est son principe de mitose, qu’elle soit capable de se dédoubler sans autre interaction de semences extérieures.
Pour moi, c’est comme une forme de symétrie : créer à partir de soi-même.
J’ai la sensation que créer s’apparente au processus du dédoublement de la cellule.

Comme la cellule, créer réfléchit une partie de nous.
Symétrie de ce que l’on est déjà,
de nos origines les plus lointaines, de ce qui nous est inconnu, d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Je retrouve cette forme d’intelligence de création, dans une autre origine du monde symbolisée par la Vénus de la Préhistoire.
Capacité d’auto-création.
Je vois la Vénus, non pas comme une femme, mais comme une cellule dans son dédoublement, qui crée à partir d’elle même.
Une part de mystère reste présent.

Origine d’un monde symbole de fertilité,
Éternel recommencement,
Humus de la vie pour un retour à la terre,
à notre humanité,
Toujours pareil toujours renouvelé.
Travail à l’encre de Chine qui vient de la suie, du feu.
Travail du goudron qui vient de la putréfaction,
fait essence,
matière sombre et profonde.
Travail du latex, la sève, le sang de l’arbre.
La Vénus
contient en elle, par sa rondeur,
donne la vie par ses failles.

PEAU MEMBRANE FASCIA

La membrane, constituante vivante, est le recueil et l’enveloppe sensible d’une transmission passive.
Une forme de neutralité vivante la caractérise.
Dans un renouvellement rythmé, cette forme de peau, aux caractéristiques souples et élastiques, contient.
Je m’accorde, là, une expérience à travers différents matériaux,
pour sentir son identité, éprouver sa fragilité et vivre le transpercement,
le passage vers un nouveau que je ne peux définir.
Je fais le rapprochement entre l’état d’être de cette membrane et l’état de création.
Une forme de consistance.
Je tente de devenir cet élément de perception et de transmission.
J’ai la sensation que l’enveloppe vivante parle plus de la forme que la forme elle-même.
C’est la raison pour laquelle je m’intéresse plus précisément à cet état qu’est la membrane ou peut-être la fascia.
Être à l’écoute de ce qui est sans pour autant pouvoir le définir.

FAILLES REPLIS

Dans la nature ou en ville, je vois une force vitale se frayer un chemin dans les interstices de la roche et dans les failles de l’asphalte.
Ce que l’on pourrait penser être des imperfections d’un monde lisse devient des accroches de vie.
Ces grandes surfaces solides permettent, dans leur rencontre ou dans leur fracture, de recevoir des grains de vie.
Ces brins de vie font exister et rendent visibles ces grandes étendues.
Une sensualité émane de cette coexistence. Je la retrouve dans les replis de nos corps.
Je goutte cette perception dans un travail à l’encre et au brou de noix déposé sur des translucides ou sur du papier.
Sur le translucide, je laisse glisser l’encre, la guide pour mettre en place deux univers semblables ou opposés.
Je m’intéresse là, à l’orée de la matière.
La limite.
A l’aide d’un calame, je trace cette frontière d’où peuvent pousser, par endroit, quelques fibres.
A l’image des racines dans la terre, ces fibres se fraient un chemin dans l’air, qu’elles prennent comme appui.
Une vie sensible et fragile apparaît par endroit, dans les contours de cette vibration de vie.
Sur le papier, à l’aide d’un pinceau, je dépose et définis des surfaces d’eau porteuses.
Dans cette épaisseur d’eau, j’inclus, par touche, l’encre qui se disperse pour laisser, par absorption du papier, la trace de grands aplats.
Des intervalles se dessinent entre ces grandes masses.
Je viens chercher, à l’aide d’un calame, dans les profondeurs de ces entres, ce fil d’encre de vie naissante, fibre croissante vers la lumière.
Je viens soutenir cette explosion, à l’aide de brou de noix dans sa couleur terre, magma d’où s’est formée cette naissance.
Deux grandes forces, masses forment en leur rencontre une faille, un gouffre, une profondeur.
Un substrat s’accumule en son pli où la graine plonge pour réapparaître transformée en une fibre fragile de vie en devenir.

Où se niche la vie, faille porteuse de mystère.
Agglomérat de substance en décomposition,
substrat accueille la graine de vie.
Les pleins accueillent en son sein la semence.
Origine de la vie humaine et végétale.

REPETITION COMBINAISON LANGAGE

Je choisis deux matériaux apparemment différents.
L’un peut s’apparenter au poil, se réfère à l’air, à l’espace.
L’autre à la chair, au corps, se réfère à la masse, au poids.
L’assemblage de ces deux matériaux me procure une étrange sensation.
J’apprivoise ce ressenti en créant différentes combinaisons de rencontres.
La répétition, ici, se fait, à la fois, par mon geste, sensiblement toujours le même,
mais également par l’organisation dans l’espace de chacun de ces assemblages.
Dans l’expérience de cette répétition, une familiarité s’installe où la différence, le moindre écart apparaissent immédiatement.
J’en fais l’expérience. Je me laisse apprendre.

LA CHUTE, SUSPENSION DANS LE TEMPS

Le passage visible.
Notre passage Vie-Mort est-il une chute ?
Et si nous nous rendions compte que ce que nous vivons est une chute ?
Une chute sans savoir d’où çà vient, si çà va s’arrêter ?
Y a t-il un point de départ, un point d’arrivée ?
Quelle forme prend la chute ?
Est ce un cycle ?
Quel est cet instant que l’on voit défiler ?
Que faisons nous de ce temps qui nous est donné ?
Le temps est-il notre seul repère ?
Quelle attitude pouvons nous avoir face à cet inconnu ?
Peut-on dissocier notre corps de notre conscience ?
Le corps n’est-il qu’un véhicule ?
Je ne peux dissocier la chute d’un rapport au temps,
que je ne peux dissocier du rapport à l’incarnation.
De là, je fais l’expérience de mes sens.
Je ne vois là aucune croyance, mais juste une ouverture de perception.
Je choisis de travailler dans la suspension par l’intermédiaire d’un fil.
Je me détache du rapport au sol.
J’appréhende l’importance du vide, de l’espace.
J’accroche des structures sur cet axe mobile et viens agglomérer de la matière que je recouvre d’une peau. Tout me paraît très fragile.
Différentes combinaisons de corps, de structures, et de peaux apparaissent.

TRACE DU GESTE, DU MOUVEMENT

Incarnation d’une matière qui suit le chemin de l’eau.
Trace du mouvement d’un corps.
Que reste t-il lorsque je ne veux rien ?
L’importance de la mise en place, de la préparation.
Je déploie un papier sur la longueur de l’atelier, une dizaine de mètres.
Je prépare et écoute tout ce qui peut être utile pour la séance.
J’installe le vide, le silence. J’attends. J’attends.
Apprendre par le vide.
Taire en moi toute pensée, toute volonté.
J’apprends par le mouvement interne du corps.
Je me laisse surprendre par cet infini méconnu sans vouloir comprendre.
Je déploie un papier sur la longueur de l’atelier, une dizaine de mètres.
Je trempe un large pinceau dans l’encre.
Je goûte la teneur de ce liquide entre les poils de mon pinceau.
Je dépose l’encre qui devient témoin d’un mouvement naissant.

La trace d’un premier geste aveugle marque le papier d’une encre épaisse, sombre, et lumineuse.
Apparition du brou de noix ou du papier collé, intermédiaire qui vient adoucir la relation de ce noir profond et de ce grain de papier blanc.
Quelques traces occupent et définissent un premier espace. La discussion ne va pas plus loin pour le moment.
Je me déplace sur ce chemin de papier et définis un nouveau territoire portant un bout de réponse au premier espace. Je renouvelle cette action plusieurs fois sur l’ensemble du papier. Un dialogue s’établit entre ces différents espaces.
J’écoute.
Je pose de nouvelles traces comme pour ajuster les notes d’un phrasé.
Chacun de ces espaces devient une part autonome d’un ensemble. Je les découpe et viens les maroufler sur un contreplaqué et seulement là, je peux les mettre dans une verticalité et me retrouver face à eux.
Je découvre.

VÉRIFIER DANS LA MATIÈRE,

c’est expérimenter, se confronter à la réalité, à ma réalité.
Qu’est ce qui marche ? Jusqu’où ça tient ? Est-ce que c’est possible ? Que me propose cette matière ? Devenir cette matière.
Faire l’expérience de sa condition.
Dans cette réalité, je vais retrouver la pesanteur, l’attraction terrestre, la structure de l’arbre et son enracinement, le souffle de l’air, l’épaisseur de l’eau porteuse et le flottement.
Expérimenter dans la matière, c’est aussi se poser la question de l’habitation, appréhender l’architecture.

RACINES
Parties invisibles de l’arbre, tracent un horizon à fleur de terre, pénètrent en ses profondeurs, se connectent.
Sentir la terre, son poids, sa densité, son humidité.
Ancrage dans la terre.
Je peux comparer ces racines aux artères, aux veines nourrissant ma chair, mon corps.
Je suspends dans l’atelier plusieurs souches d’arbres sur un même horizon.
Je me place sous.
Je suis le chemin de ces racines, je les connecte entre elles.
Je sens à la fois leur force, leur puissance, mais également leurs filaments fragiles se frayant un chemin, et grossissant à leur tour.
Je prends du papier. Je le pose au sol. Je le mouille et le froisse. Tous ces replis entrent en résonance avec les chemins tracés des racines. Je viens déposer du brou de noix, de l’encre comme pour faire trace de cette terre et révéler ces chemins parcourus.
Je ressens cette matière dense et pourtant pénétrable qu’est la terre.

ETUDE D’UNE MATIÈRE
Je choisis de comprendre le caillou, l’os, le bois.
Je ramasse un caillou qui a subi une transformation par les,chocs et le polissage du temps et de l’eau.
Je reproduis cette forme à une plus grande échelle.
Je découvre sa structure et apprends à lire son vécu.
Je fais la même expérience avec un os.
Je constate que les propriétés du bois sont comparables à celles de l’os.
Je retrouve les lignes de force exercées par les tensions, la souplesse dans son état spongieux et le côté cassant une fois sec.

J’expérimente ces matières une fois sorties de leur contexte.
Le caillou qui vient de la roche.
L’os qui vient d’un corps.
Le bois qui vient de l’arbre.

VOUTE
Ce sol qui porte.
Je fais l’expérience d’une chose qui me paraît incroyable.
Il s’agit de la construction d’une voûte.
Comment de gros blocs lourds, empilés dans un déséquilibre, peuvent se soutenir grâce à leur poids ?
Je reçois un gros tronc de chêne débité en morceaux. Je décide de réunir ces morceaux pour en former une voûte.
Je trace au sol une matrice pour déterminer la forme de ces différents blocs.
J’ancre dans le sol les deux premiers blocs à trois mètres d’intervalle. Ils porteront le déséquilibre des autres. Je monte cet ensemble autour d’un gabarit, place la clé de voûte, puis démonte ce gabarit pour laisser apparaître cet espace vide que forme cette voûte.
Il est intéressant de sentir ces deux grandes colonnes vertébrales en déséquilibre s’unir par la clé pour devenir un seul corps.
Je peux sentir toute la pression exercée dans le sol.
L’arbre reprend une forme de rapport initial à la terre.

Construction à partir de blocs juste posés les uns sur les autres,
se servant de la gravité pour former,
dans leurs déséquilibres,
un arc qui va de la terre à la terre.

LA PORTÉE DE L’EAU
Dans le but d’une performance, je décide de tailler, dans un seul tronc de mélèze, une embarcation, comme peuvent le faire, par exemple, certains peuples d’Amazonie qui habitent au bord de l’eau.
Accord avec la nature.
Je cherche, là, à expérimenter une forme taillée dans le bois pouvant recevoir, comme un berceau ou un sarcophage, un corps allongé.
Tester sa ligne de flottaison et sa glissée sur l’eau.
Passer de l’autre côté.

SOUFFLE
Sentir l’air
Planté au milieu d’un grand champ, grand corps éventré,
habité en d’autres temps, laissé, là, à sa transformation sans autre intervention que les éléments du temps.
Tout paraît éteint, mais vivant.
Je pénètre dans ce grand corps, allongé à ciel ouvert, ridé d’une éternelle jeunesse.
Je circule en lui, sens sa respiration lente et apaisée.
Je rends visible la respiration de cette dite « ruine » en plaçant des paupières sur chaque ouverture à l’aide de voilages blancs.
On peut enfin voir cette respiration faire corps avec ce qui l’entoure en un rythme unifiant.

TRANSMISSION

Ma démarche artistique s’accompagne d’une logique de transmisson comme une contribution sociale. Un accord entre une recherche personnelle et la place qu’elle peut prendre dans la vie. Un va-et-vient permanent tout au long de ma pratique. C’est par la création d’un atelier ouvert et par des interventions dans l’espace public que se manifeste ce dialogue.

Dans cet atelier public, j’accompagne les personnes dans leurs pratiques, en apportant de nouvelles expériences, techniques, réflexions actuelles tout en ayant un regard sur le passé. Il est toujours question de la place et de la position de l’artiste dans notre société.

Quelle pratique et quelle question est posée ? Je n’aborde jamais frontalement ces questions.

La première étape de mon travail est de permettre à chacun de se sentir en sécurité pour laisser être sa singularité. Nous pouvons mettre en route tout un processus dans la mesure où le dit #élève s’engage sur une durée suffisante. L’atelier favorise une mise en commun des expériences.

Quelle que soit l’ancienneté des participants, les préceptes sont souvent les mêmes, mais appréhendés à des degrés différents. La création ne comporte pas vraiment de niveau, il suffit de respecter ce que chacun est prêt à recevoir. Le temps est tout de même un facteur qui doit être pris en considération. Il est garant de notre engagement dans une pratique, et permet un certain recul pour évaluer ce qui a été réalisé et, éventuellement, le remettre en question. Je viens apporter une aide technique, mais également ordonner et canaliser un flux d’idées et de désirs d’expérimentation. Tout au long de l’apprentissage, s’établit une forme de rééducation face aux idées préconçues. Nous apprenons à questionner, à travers une pratique, l’orientation d’un regard et sa remise en question.

Il est très difficile d’affirmer ce qu’est un artiste. Mais cela n’a jamais empêché une pratique imagée et poétique, ce depuis que l’homme existe.

Ce n’est que, à la suite de plusieurs années de pratiques dites artistiques, que l’on peut arriver à éclaircir une lecture singulière, c’est pour cela que l’on parle « d’approche artistique ».

Le regard et l’écoute du monde qui nous entoure, mis en regard à son tour face à l’introspection du regardé, deviennent, par leur alchimie, la forme naissante dans la matière.

J’ai élaboré une pédagogie directement en lien avec mes propres expériences où je questionne l’espace de la création. J’ai crée cet atelier accessible à tous, il y a 35 ans, au sein d’une municipalité, qui a su considérer la place de l’art dans la ville.

C’est bien de considération dont il s’agit, ainsi que de volonté politique. La culture est ce que nous sommes, la reconnaître est une façon de nous voir. Par elle, c’est la tolérance de la singularité et de la différence, porteuse de richesses, mais également de compréhension pour vivre tous ensemble. Nous sommes dans un mouvement continu de vie, d’expériences qui nous modèlent.

Refuser ce mouvement de vie correspond à un enfermement d’où, tôt ou tard, chacun tente de s’échapper avec plus ou moins de violence. C’est une expérience dont notre histoire témoigne, où l’expression artistique reflète ce monde mais également lui donne une respiration pour un nouvel horizon. Un monde qui ouvre des possibles dans une forme d’harmonie ou chacun apporte sa contribution.

Nous n’avons pas tous les mêmes prédispositions. Je conçois très bien que le politique, l’économiste, l’artiste n’ont qu’une partie d’une vision générale. Je constate également, à travers l’enseignement, que toute nouvelle génération est en héritage des constructions et pensées passées, mais surtout forte de nouvelles propositions de vie, vierge de tout « ressentiment ».

C’est à nous de mettre en conscience ce nouveau savoir. Le sens créatif est un des outils indispensables à notre évolution depuis toujours. Il doit s’accompagner aujourd’hui d’un sens moral et philosophique plus clair. Il me paraît important d’être en mesure, non pas de suivre un maître à penser, mais d’être capable de faire évoluer nos pensées individuelles pour les harmoniser ensemble. Pour cela, il est nécessaire d’inventer des ateliers d’expérimentation, qui ne s’inscrivent pas dans les codes d’un critère d’évaluation de “vie active”.

Nourrir la passerelle.

C’est par des allers-retours entre le monde “actif” et une recherche personnelle que s’établit une passerelle.

Cet espace “entre” est le souffle de vie qui donne sens et équilibre entre ces deux espaces apparemment si éloignés.

Je pense à cet homme qui vit seul, en apparence, en haut d’une montagne isolée de toute forme sociale et qui, pourtant, oeuvre pour notre «humanité» par l’élaboration de divers systèmes permettant d’utiliser la force de l’air, du soleil… pour vivre dans une forme d’autonomie d’un point de vue énergétique. Hiver comme été, il vit dans un refuge. Mais ce n’est pas cela qui entre en résonance avec ma perception. La métaphore que je souhaite souligner est plutôt le fait que, malgré cet éloignement, il est au plus près de nos préoccupations sociales qui sont les ressources énergétiques indispensables à plusieurs titres pour notre survie. Pour ce faire, cet homme du bout du monde, seul à cette extrémité, se trouve, néanmoins, en lien avec des chercheurs. Différents moyens importants lui sont accordés pour une parfaite mise en oeuvre de cette expérimentation.

Je retrouve, dans cette image, les conditions de mon travail dont la solitude et une forme d’éloignement sont nécessaires pour expérimenter mes recherches, espérant qu’elles prennent sens.

Une façon de faire exister et de créer une passerelle entre mes recherches et une certaine vie quotidienne trouve sa place dans les opportunités que je vais provoquer ou que l’on va me proposer. Le travail réalisé dans l’espace public avec les habitants n’est pas l’aboutissement d’une recherche personnelle. Néanmoins, l’alliance et la rencontre de ces deux univers peuvent faire naître des formes inattendues de toute part et c’est bien la collaboration de ces différents univers qui permettra aux projets publics d’exister. La démarche choisie est de repérer un espace adapté où peut se faire cette rencontre et dans laquelle une trace pérenne ou non sera laissée.

Christian Durante