TERRE
La terre qui est déposée ici, est la trace d’une expérience vécue dans mon atelier.
A un mètre vingt de la baie vitrée de mon atelier, j’empile des briques de terre crue pour obtenir un mur d’argile de quatre mètres de long et soixante dix centimètres de haut. Je dépose sur ce muret un mélange de terre «végétale» et d’humus provenant d’un sous-bois. Ce mélange porte en lui la vie, parmi elle, des graines, des racines, quelques vers de terre et cloportes que je découvre plus tard et bien d’autres vies discrètes.
Cet ensemble prend la forme d’un corps paysage allongé, une découpe de chaîne de montagnes portée à la hauteur du regard.
Je ne suis pas très à l’aise avec cette action artificielle, mettre de la terre à l’intérieur, ce n’est pas son endroit, sa place, tout sera restitué.
J’ai besoin de vivre avec, de l’avoir juste à côté de moi, d’être avec. Je suis assis à mon bureau, tout proche et je ressens dans ma poitrine cette présence immobile, silencieuse. Je suis en compagnie de quelque chose de puissant, de vivant.
Un quotidien s’installe, tous les matins, ma première action est d’ouvrir les volets pour laisser entrer la lumière.
Je bricole un système pour maintenir l’ensemble humide. Quelques petites pousses vertes s’étirent vers la baie vitrée. Je retourne dans le sous-bois pour rapporter de nouvelles jeunes pousses. Je dépose quelques glands et châtaignes en germe qui s’enfoncent dans la terre.
Je vois se tisser un lien entre le monde extérieur et intérieur. Rapprocher le sol pour mieux me rapprocher de lui.
Installation, Terre, Montiège, St Soulan, 2025
Installation, Partie 1 & 2, Couvent des Carmes, Beauvoir en Royans, 2025
Installation, Du bien commun, ArtOnef, Graulhet (81), 2024
DES DEMEURES ET DES PAYSAGES
Cette exposition va donner à voir ce que le public ne voit pas habituellement : l’atelier et la racine des arbres. Soit des lieux de vie, de sève, de pousse. Là où « ça » se construit.
Christian Durante fait œuvre avec le végétal, le bois, la cire, la suie… Parfois, il ne retravaille pas ces matériaux, il les prend comme la nature nous les offre. Et des arbrisseaux déracinés et suspendus deviennent une sculpture légère qui vibre au simple souffle du passage d’un corps. Une voute céleste, un toit à ciel ouvert, ce que vous voulez bien voir. L’arbre expose sa vie racinaire et surplombe de minuscules habitations. Ce changement d’échelle, cette suspension opèrent un renversement de perception de l’objet qui construit l’œuvre. Il nous est proposé d’entrer dans une dimension plus ample de l’espace.
Et tout comme l’arbre dévoile ses ramifications, l’atelier se déploie sous nos yeux et nous laisse apercevoir le cheminement d’une pensée, le travail artistique à l’œuvre.
Chez Christian Durante, l’espace intime (l’atelier) et l’espace extérieur (l’arbre) se muent en espace poétique. C’est-à-dire en quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Paysage et atelier deviennent des demeures, des habitations tel que l’entend Gaston Bachelard. Cet artiste partage avec ce philosophe cette idée que l’immensité est en nous. Demeurer en soi est avoir accès au vaste du monde.
« Donner son espace poétique à un objet, c’est lui donner plus d’espace qu’il n’en a objectivement » nous dit Gaston Bachelard. Voilà le travail de Christian Durante.
Sylvie Corroler, Directrice Fondation Espace Ecureuil
Installation, Des demeures et des paysages, Cendres, Porcelaine, Arbres, Centre Culturel St Cyprien, Toulouse, 2023
Installation, Demeures en porcelaine sur un paysage de cendres, de voile, 2022, 2023
Installation, Demeures en porcelaine en dialogue avec la suie provenant du foyer, 2022
DU BOIS BRÛLÉ
Récolte
Je glane, je récupère des chutes de bois provenant d’une construction en chantier. Je découpe les morceaux de planches pour les réajuster en formes rectangulaires que j’identifie à des livres de différents formats.
Je brûle le bois.
Je fais un grand feu, une sorte d’autodafé. Une transformation s’opère sour mesyeux, peu à peu le bois change de couleur, il noircit. Les flammes flottent à quelques millimètres de sa surface, passant du orange-jaune ou rouge. Des fissures apparaissent et entrent dans la profondeur du bois. Je l’extirpe de ce brasier avant qu’il ne disparaisse complètement et ne laisse au sol une poudre blanche, les minéraux transformés en cendre. Je jette sur l’herbe verte environnante ces formes fumantes, les asperge d’eau pour stopper leur combustion. Je répète cette forme de rituel de gestes et d’actions.
Classement
J’évalue chacune des pièces, je les classe, les range côte à côte, une autre construction prend forme. Une enfilade de livres ici, une sorte de bibliothèque. A un autre endroit, je les empile, un édifice apparaît en forme de Ziggurat.
L’évocation des ces structures sont les calices, les réceptacles contenant les graines de vie ancestrales en devenir.
Installation, Isoler le savoir pour vivre le réel #1, Blocs de bois passés par le feu, 2022
ESPACE, CORPS ET FILS
Un espace de création où tout est à naître en continu.
La première fois que j’accroche ces fils, c’est dans mon atelier pour y suspendre des coupes, des contenants que j’avais confectionnés en cire et en paraffine. J’ai retiré ces réceptacles suspendus dans l’air à différentes hauteurs,pour garder juste les fils.
La création prenait souvent dans mon travail la forme de calice, de bassin, de contenant portant la vie en devenir.
Ici, ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe avant que les choses n’adviennent. Mon attention est portée sur les fils libres de tout poids. J’aime circuler avec précaution entre eux, ils me permettent de goûter l’espace de l’atelier, de mon corps, de l’air que je traverse.
Je multiplie les suspensions. Pour se faire, je tisse une trame à deux mètres soixante-dix du sol. Une membrane qui régule les transferts. Elle nous enveloppe dans un même espace. Je peux circuler dans cette sorte de cytoplasme, faire des traversées.J’ai disposé des blocs posés au sol, ils sont fins et se dressent face à nous en miroir, font obstacle. Une rencontre, envie de toucher cette peau légèrement transparente. Ce sont des corps de bois couverts de paraffine. Les fils environnants ont un peu cette transparence.
J’imagine cet espace, proche de celui de la création, silencieux, clair, simple et continuellement à naître. Je n’ai plus qu’à traverser, me laisser traverser par cette douche de fils sous ce grand arbre de vie.
Être création sans chercher à en faire quelque chose.
Installation, Espace, Corps et Fils – Paraffine – Bois – Fil de lin poissé, Couvent des Carmes, Beauvoir en Royans, 2025
Détails de l’installation, Service de vaisselle en porcelaine inutilisable, Porcelaine, 2023
Installations, Entre solide et liquide, « Rétrospective », Exposition avant destruction de bâtiments à La Baleine (31), 2020
Performance, Déambulation fragile et lumineuse sur La Garonne à Toulouse, avec le Centre Culturel St Cyprien, 2024
LA VIE RACINAIRE
Les artistes travaillent dans un atelier et il arrive que celui-ci ait une extension. Pour Christian Durante, c’est le jardin et, au-delà, le végétal dans son ensemble, la nature tout entière. Ici se conjuguent le rythme lent de la marche, l’acuité du regard, le vagabondage de l’esprit. Ces trois actions enclenchent le travail : voir, choisir, collecter, trier, ranger. Penser, dirait Georges Perec.
L’atelier est rempli de choses disparates issues de différentes collectes : petits objets, livres, citations, esquisses sur bout de papier, photos, carnets, crayons, outils divers, … et chez Christian Durante : squelettes d’animaux, petites plantes déracinées scotchées au mur, animal séché, graines multiples, traces de suie, fils cirés, fruits moisis, … C’est le lieu où se côtoient physiquement et mentalement les choses inspirantes provenant de divers horizons et les premiers petits essais où l’on ose, les tentatives échouées, les premiers gestes de la création, le dépliement de l’œuvre et de la pensée, de manière indissociable. C’est le lieu où ça se défait et se fait, où ça se tisse.
Les œuvres naissent dans les ateliers, puis vont vivre leur vie dans les lieux d’exposition. Elles se déploient dans de nouveaux espaces, elles sont regardées.
Pouvons-nous envisager l’atelier comme une création, c’est-à-dire comme une œuvre en elle-même ?
Ici, nous avons eu envie de répondre par l’affirmative et donc de donner à voir les ramifications, connexions et réseaux de fabrication, ce qui d’habitude est invisible : la vie racinaire.
Partir de la nature (marcher, collecter) et après une plongée profonde (l’atelier), la redonner à voir de manière plus vraie (l’œuvre). Je ne décris là que le travail de l’artiste. Je ne décris là que cette exposition
Sylvie Corroler, Directrice Fondation Espace Ecureuil
Détail d’installation, La vie racinaire, Centre Culturel St Cyprien, Toulouse, 2023
Récolte
Détail d’installation, Il reste du café ce matin, Montiège, St Soulan, 2025
Installation, Cartographie de racines, La Baleine (31), 2014